La sorcelerie évocatoire

Tous les espaces et tous les temps. Les premières civilisations, les Ougarits, les Phéniciens, les Égyptiens. Les mythes ancestraux d’Hermès, les tentations religieuses de Malachim. Babylone ou les Grecs. Mais aussi le morse, les codes-barres des centres commerciaux, les pavillons des navires ou les codes météorologiques. Tous les signes et les symboles humains, toute l’aspiration humaine à fonder l’absence, à la remplir de paroles muettes. Des signes fondateurs, illuminés par l’éclat de la peinture, dans l’éclaboussure d’une toile. Une énigme lointaine, insondable, dans la majesté des signes inconnus, tissant un langage mystérieux.

Ils sont tous là. Ils se pressent. Ils viennent de partout, convoqués à travers les âges, rassemblés sous la bannière d’une peinture numérisée du XXIe siècle. Tous les siècles, tous les millénaires, l’inouïe profondeur des temps, par-delà les mers et les montagnes, dans l’Afrique oubliée de l’esclavage, à la surface des mers commerçantes des Phéniciens, dans la mécanique de la profusion moderne.

Rassembler l’espace et le temps, fouiller les couleurs d’un fourmillement de signes, étoiler la peinture d’un foisonnement silencieux. Blottis dans le frottement rapide du bleu, du rouge et des teintes assemblées, des formes étranges surgissent, animaux bizarres, araignées peut-être ou encore serpents, lignes serpentines du moins, impressions d’un instant logé dans la toile, perspectives illusoires, phénomènes visuels ramifiés et multipliés, à la mesure du mystère et de la diversité des signes. Là, à droite un arbre, un peu plus haut des ciseaux puis un panneau routier puis de nouveau le serpent, immense, toute une nature de hiéroglyphes, une accumulation sertie, précieuse de langages incompréhensibles qui, un jour, en un lieu, ont porté tout le sens du monde.

Nous écoutons le bruissement, nous contemplons les formes et les couleurs – nous sommes dans le repli d’une teinte ou d’un signe, à la crête d’une vague de peinture, emportés.Nous sommes aramééns et phéniciens, nous sommes grecs et égyptiens, nous sommes les esclaves africains faisant le tour de l’arbre, nous sommes l’automobiliste s’arrêtant tout bonnement au stop. Nous nous arrêtons et puis nous repartons. Nous écoutons. La peinture parle. Elle ne dit rien que nous ne puissions comprendre mais de cette forêt de symboles émerge un son vague et confus,
la voix de l’Homme.

Fabrice HUMBERT